Extrait d’un article – Feuille d’Avis de Lausanne – jeudi 24 mars 1932
Eloge de l’œuvre de Louis Rivier retrouvé lors de la restauration en 2008
UNE FRESQUE EUCHARISTIQUE
La jolie et hospitalière chapelle de Villard s’est embellie, depuis quelques mois, d’une fresque de Louis Rivier représentant l’institution de la Sainte-Cène ; de là le titre de cet article : « une fresque eucharistique ». Et c’est avec une joie profonde que nous l’écrivons et que nous décrivons cette belle œuvre de Louis Rivier.
Asseyons-nous pour contempler et méditer, au fond de la chapelle, dont les boiseries jadis brunes se sont éclaircies, revêtues d’un gris-vert qui agrandit l’édifice et donne une impression de plein air et d’ampleur.
La fresque occupe la muraille du fond ; la figure centrale, celle du Christ, se dresse au-dessus de la petite tribune en forme d’ambon ; ce doit être pour l’officiant une impression solennelle et réconfortante à la fois, de se sentir aux pieds du Maître, de son Maître.
Donc, le festin eucharistique se déroule le soir du Jeudi-Saint. La table rustique – Le pain rompu- Le Christ béni la coupe d’un geste empreint, comme le visage lui-même, de majesté et de sérénité tout ensemble. Dire que ce geste, des millions d’officiants à travers le monde et les siècles, le renouvellent et le renouvelleront des millions de fois, « jusqu’à ce qu’Il vienne ».
Le geste auguste du semeur devient : « le geste auguste du Sauveur », le Pain de Vie semé, moissonné, donné.
L’artiste n’a pas fait asseoir les apôtres à la manière traditionnelle, mais il les a placés, debout, en deux groupes, à droite et à gauche du Christ ; ils sont onze, Judas est sorti, et Jésus est le douzième… ou plutôt le premier, Lui, l’Alpha et l’Oméga.
On reconnaît Thomas un peu perplexe ; Jean, l’ami de Jésus et qui lui ressemble ; Pierre, robuste et un peu rude ; pour les autres il faut réfléchir, conjecturer.
Nous sommes dans la chambre haute, sur la terrasse de la maison qui reçoit le Maître et ses disciples.
Les figures de grandeur naturelle, se détachent sur le couchant à la fois paisible et grandiose. Les couleurs sont plus douces – sans être ternes – que dans les fresques de Saint-Jean ou de l’aula du Palais de Rumine ; celles-ci étant plus éclatantes et bigarrées. Cela tient-il au sujet lui-même, à l’humilité sociale des personnages – des pêcheurs – et le fils de l’homme qui n’a pas où reposer sa tête ?.- ou bien l’artiste se révéla-t-il, non pas vieilli, mais mûri, adouci ?…Les deux causes, loin de s’exclure, se sont pensons-nous, rencontrées dans une intime communion car, comme Fra Angélico, Louis Rivier est de ceux qui « peignent à genoux », spirituellement parlant.
Couleurs adoucies, mais horizon élargi. Tandis qu’à Saint Jean toute une humanité, Ancien et Nouveau Testament, se presse sur les escaliers qui dominent le trône du Père et la croix du Fils, ici, la beauté est plus intime et plus vaste à la fois ; derrière la chambre haute s’ouvre un magnifique horizon où tendent les divers plan du paysage.
Les reflets du couchant avivent discrètement la chambre haute ; et, au-dessus du Christ, une ouverture en forme d’oculus de très vieille église, a pour bordure comme un croissant lunaire, un rayon d’or pâle qui semble une auréole prête à se poser sur le front du Sauveur.
La fresque eucharistique de Villard agrandi la chapelle, elle ouvre dans la muraille une fenêtre sur l’infini ; mais elle fait plus encore ; elle élargit les âmes, elle leur prête un mystique essor vers l’au-delà ; elle atteint par là les suprêmes ambitions de l’art chrétien, qui est consécration.
Ainsi, à travers les siècles, le plan de Dieu, le drame rédempteur, sont pour les artistes, une inépuisable source d’inspiration – la plus pure et la plus féconde.
Signé : Pierre
(Pourrait-être Jules Amiguet pasteur de St Jean de Cour).
Un commentaire